Ceux qu’on ne choisit pas.

De la place si singulière de la belle mère

« J’ai honte de cette conversation, je me trouve si banale, d’être cette femme qui voudrait un
enfant ».

Voici ce qu’exprime Rachel à Ali dans Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski1 alors qu’elle réalise que la place qui lui est donnée auprès de celui dont elle est amoureuse et de sa fille ne lui convient pas. Pourtant, au début du film, lors de la rencontre des deux amants, tout se passe pour le mieux. On peut d’ailleurs remarquer qu’au sein de chaque cadrage que la caméra fait d’eux, on ne voit personne d’autre. Sont gardées hors champs toutes les tierces personnes, tous les étrangers à cette idylle qui semble ainsi naître à l’écart du monde.

J’ai par le passé travaillé dans le cinéma, durant près de 12 ans, il n’est donc pas surprenant que pour moi les dynamiques entre les personnages fictifs, véritables projections de nos archétypes collectifs, soient objets d’intérêt. Dans le film de Zlotowski, comme dans beaucoup de situations rencontrées dans ma pratique clinique, la nouvelle partenaire d’un père se refuse à entrevoir que cet homme est aussi engagé ailleurs, passionnément enchainé à un passé. Dans la fièvre de la rencontre, il serait insensé d’intégrer d’autres éléments relégués au second plan comme les enfants d’une précédente histoire. Cela entrerait même en contradiction profonde avec cet état bien connu de tous⋅tes, aux multiples noms : la lune de miel, la fusion, ou encore la phase de l’idéalisation. Cette période au début de la relation où préside un amour passionnel qu’on dit aveugle nous a pour beaucoup saisi⋅es au moins une fois. Alors, les entraves n’existent plus, les défauts de l’autre sont occultés. C’est souvent bien après cette période de forte réassurance narcissique que nous intervenons, nous, conseillers conjugaux et familiaux.

Du travail que j’ai pu mener auprès de belles-mères et de leur compagnon, j’ai pu constater que la relation aux beaux-enfants est parfois l’occasion d’une critique acerbe de ces derniers et par extension du compagnon qui ne donnerait plus entièrement satisfaction. C’est alors autour de cette question qu’émerge une crise du couple.
Mais alors pourquoi cette critique ? Les enfants sont ils vraiment si insupportables ? Le partenaire n’est il vraiment pas à la hauteur de l’amour qui lui est porté ? Délaisse-t-il sa partenaire au profit de ses enfants ?

Il serait bien ambitieux de vouloir répondre en quelques lignes ici, et les crises dépeintes par les femmes rencontrées au sein du Club des marâtres2 (porté et animé par Marie-Luce Iovanne, coach) laissent entendre des origines multifactorielles et des responsabilités évidemment partagées. Voici cependant quelques éléments psychanalytiques et sociologiques qui peuvent nous aiguiller.

Le clivage bonne mère/mauvaise mère

Au regard de la psychanalyse freudienne, le jeune enfant idéalise inévitablement ses parents. Ils ne peuvent pas être mauvais, du moins dans un premier temps. Un jour ou l’autre, l’enfant se heurte bien sûr à la dure réalité, ces dits parents sont parfois extrêmement frustrants. Ainsi, Laflamme et David écrivent :

« Pour protéger sa mère de ses fantasmes agressifs et pour éviter de se retrouver dans un conflit de loyauté vis-à-vis d’elle, l’enfant peut se sentir justifié de croire qu’il a une bonne mère et une méchante belle-mère.»3.

La représentation de la belle-mère peut alors porter les éléments négatifs que l’image de la mère ne peut endosser. C’est d’ailleurs un motif que l’on retrouve dans plusieurs contes où la marâtre est représentée dans sa plus grande infamie : vénale et cruelle ; alors que la mère biologique souvent méconnue car décédée est à l’abri de tout reproche, sacralisée.

Autorité et culpabilité du père

Dans le schéma traditionnel de la famille nucléaire, le père occupe dans le foyer le rôle d’une figure d’autorité auprès des enfants. De sa voix grave, il fait cesser tout épanchement malvenu et soutient la mère dans la mise en pratique des règles qu’ils édictent ensemble. Bien sûr, les foyers sont tous différents, et la distribution des rôles varie parfois, mais la socialisation du genre fait encore perdurer ces comportements systémiques dans une majorité de foyers. Ces dernières années, le rôle du père commence à se transformer, et ce dernier ne veut plus de ce rôle limitant et aspire à aborder l’éducation différemment qu’auparavant, il veut être aimé.

Ainsi, lorsqu’une séparation survient entre la mère et lui, il se peut qu’il développe une sorte de culpabilité et préfère aborder une posture légèrement laxiste vis à vis des enfants. Il se sentait potentiellement responsable de la cohésion du foyer et de la satisfaction de son ex-compagne. Ainsi, le refus d’incarner cette figure d’autorité peut donner à la belle-mère quelques difficultés pour faire respecter un cadre qui lui tient à cœur.

La matricentralité

Les éléments décrits ci dessus sont souvent accentués par un phénomène mis en évidence par la sociologue Sylvie Cadolle et qui est corroboré par le travail de François de Singly qui écrit :

« Les liens entre le père et l’enfant résistent assez difficilement à la séparation du couple, du fait
de la définition du rôle paternel. En effet, après le divorce, le père se retrouve seul dans un face-à face avec ses enfants, dans une relation interpersonnelle à laquelle il n’est pas habitué. Avant, il interprétait surtout son rôle de père sous les deux modalités complémentaires que nous avons repérées : le père en tant que pourvoyeur principal de revenus ; le père, membre du couple, en tant que garant de la famille unie »
4

Très simplement dit, la matricentralité pourrait se résumer en une phrase :

« À la mère les contraintes, mais le pouvoir de décider, au père, l’absence de contraintes et la fantaisie. » 5

La culpabilité du père comme sa difficulté à être dans le face à face avec ses enfants car la mère est intronisée comme centre de gravité ont comme conséquence des lacunes d’autorité au sein du foyer constitué avec la belle-mère, et ce même lorsque la belle-mère tente d’établir des règles.

Les rivalités

Ensuite, il me faut aborder ce en quoi réside le plus de mystère et qui par extension suscite chez moi le plus d’intérêt. Nous rebasculons pour cette dernière partie dans la psychanalyse pour évoquer la question des rivalités entre tous les protagonistes de cette nouvelle famille élargie. Au sommet et à la genèse de la recomposition se joue bien sûr une rivalité entre nouvelle partenaire et ancienne compagne. Parfois seulement sur le plan sexuel, cette rivalité peut aussi porter sur la dimension parentale. La mère craignant peut être de se voir prendre sa place de mère. Il s’avère également que certains hommes donnent encore une place assez sacrée à cette ancienne femme qui a été et restera la seule et unique mère de leurs enfants. De ce fait, une sorte de pacte tacite perdure entre ces deux ex reliés à tout jamais dans le couple parental (qui n’en a parfois que le nom tant les conflits grèvent leur relation et leur intiment paradoxalement de se détacher).

Mais une autre rivalité est à nommer, la rivalité entre la belle-mère et ses beaux-enfants.

Si l’on doit résumer les enjeux du complexe œdipien on peut dire que l’enfant noue une passion très jeune pour son parent (généralement) de sexe opposé et souhaite inconsciemment la disparition de son ou de sa rivale de même sexe que lui : son autre parent. Bien sûr, la sexualité infantile se distingue de la sexualité mature de l’adulte et l’enfant est censé apprendre qu’il est amené à rencontrer un partenaire sexuel en dehors de son foyer.

Or, l’enfant, lors de la séparation de ses parents, peut vivre inconsciemment la réalisation de son propre fantasme œdipien. Il se retrouve seul avec le parent élu. Ainsi se manifeste parfois un sentiment de toute puissance très déstabilisant pour l’enfant qui croit inconsciemment être à l’origine de la séparation de ses parents.

Catherine Audibert nous apprend aussi que le complexe d’œdipe n’est pas forcément résolu à l’âge adulte6. Ainsi se réactualise-t-il parfois chez la belle-mère au contact de ces enfants qui sont perçus comme des rivaux. Il peut donc se revivre pour elle une rivalité fraternelle infantile avec ces êtres tant aimés par son partenaire.

Conclusion

Ces quelques mots n’éclaircissent qu’une partie des situations douloureuses autour de la recomposition familiale, et il faut bien avoir conscience qu’une réponse adaptée se situe à la croisée d’une approche systémique, psychanalytique, sociologique et politique.

Il appartient cependant aux adultes impliqués d’investiguer sur les forces qui dictent leurs gestes et influencent leurs ressentis. À l’instar de la rencontre amoureuse, la recomposition familiale est une rencontre des inconscients, pour le meilleur et pour le pire. Sauf que personne ici ne s’est choisi…

  1. ZLOTOWSKI. R (2022). Les Enfants des autres. Les Films du Velvet ↩︎
  2. https://www.clubdesmaratres.fr/ ↩︎
  3. LAFLAMME, V. et DAVID, H. (2002, janvier) La femme a-mère : maternité psychique de la marâtre. Revue française de psychanalyse. Pages 103 à 118. PUF. DOI 10.3917/rfp.661.0103 ↩︎
  4. DE SINGLY, F. (1996) Le Soi, le Couple, et la Famille. Nathan. P.196 ↩︎
  5. CADOLLE, S. (2000, mai) Être parent, Être beau-parent. La recomposition familiale. Ed. Odile Jacob. P.187. ↩︎
  6. AUDIBERT, C. (2019, novembre) Amour et crises dans la famille recomposées – Les enjeux psychiques de la recomposition familiale. Payot. P.32 ↩︎

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